Marie Durand
1685 En révoquant l'Edit de Nantes, Louis XIV interdit le protestantisme en France. Les Huguenots qui continuent de célébrer le culte en cachette, dans les endroits isolés, "au désert", sont sévèrement réprimés. Marie Durand naît en 1711, au Bouschet-de-Pranles, village du Vivarais, dans une famille protestante qui vit sa foi et pratique la lecture quotidienne de la Bible. En 1719 son frère organise une assemblée clandestine dans leur maison. Cette assemblée est dénoncée par un voisin et la mère de Marie est arrêtée. En 1729 son père est emprisonné.
Les femmes qui refusent de renoncer à leur foi sont condamnées à être enfermées, souvent pour le reste de leurs jours, dans les prisons du royaume : parmi elles, la Tour de Constance à Aigues-Mortes (Gard). En 1730, lorsque Marie et son mari, Matthieu Serres, sont arrêtés, Marie y est emprisonnée. Pierre est arrêté en 1732 et exécuté.
Enfermée avec d'autres femmes, Marie vit dans la pauvreté, le froid, la promiscuité. Elle grave dans la pierre du sol, ce seul mot :
(REGISTER, résister en patois)
Résister, c'est ce qu'elle fait durant ses 38 ans de captivité, refusant toujours d'abjurer de sa foi, exhortant ses compagnes et écrivant de nombreuses lettres.
Libérée en 1768, elle se retire dans son village natal. Elle y meurt 8 ans après, ayant passé la plus grande partie de sa vie emprisonnée à la Tour de Constance.
Marie Durand reste un exemple de foi et de courage. Sa vie est une exhortation à l'espérance.
LA COMPLAINTE DES PRISONNIERES DE LA TOUR DE CONSTANCE
Poésie en languedocien de A. BIGOT
Adaptation de R. SAILLENS (1882)
1. La vieille ville d'Aigues Mortes,
La ville du roi Saint-Louis,
Morne étendue entre ses portes
Rêve aux grands jours évanouis.
Elle dort, mais comme un vieux garde
De son œil rouge grand ouvert,
La tour de Constance regarde,
Regarde la plaine et la mer.
2. De la campagne, de la plage,
S'élèvent mille bruits confus ;
Mais la tour, géant d'un autre âge,
La tour sombre ne parle plus...
Seulement, par les nuits voilées,
Le pêcheur entend des sanglots,
Et des voix qui chantent mêlées
Au lointain murmure des flots.
3. Qui vécut là ? - Des prisonnières
Qui mettaient Dieu devant le roi.
Là, jadis, des femmes, des mères,
Moururent pour garder la foi.
Leur seul crime était d'être allées,
La nuit par un sentier couvert,
Joindre leur voix aux assemblées
Qui priaient Dieu dans le désert.
4. Mais les dragons - ô temps infâmes
O lions changés en renards ! -
Les dragons veillaient : sus aux femmes !
Braves soldats, sus aux vieillards !
Bientôt un peuple sans défense
Les sabres nus avaient raison...
Les huguenots à la potence !
Les huguenotes en prison !
5. Ah jamais ces murailles grises
Ne rediront ce qu'on souffert
Ces paysannes, ces marquises,
Ces nobles filles du désert !
Mais dans leur foi puisant un baume,
D'une voix tremblante de pleurs,
Ensemble elles chantaient un psaume...
Les cœurs brisés sont les grands cœurs.
6. Les ans passaient sur la tour sombre,
Et la porte ne s'ouvrait pas.
Les unes vieillissaient dans l'ombre,
D'autres sortaient par le trépas.
Mais jamais aucune à son Maître,
De le trahir ne fit l'affront...
Huguenotes il les fit naître
Huguenotes elles mourront.
7. Ah que devant cette ruine
Un autre passe insouciant !
Mon cœur bondit dans ma poitrine,
Tour de Constance, en le voyant !
O sépulcre où ces âmes fortes
Aux ténèbres ont résisté !
O tour des pauvres femmes mortes
Pour le Christ et la liberté !